L’histoire :
Plongé dans un état cataleptique, le journaliste Gregory Moore est considéré comme mort. Depuis la morgue de Prague, il tente de se remémorer les circonstances qui l’ont conduit dans cette fâcheuse posture.
Critique subjective :
C’est en 1971 que le cinéaste italien Aldo Lado réalise son premier long-métrage, Je suis vivant (également connu sous le nom de Malastrana – La corta notte delle bambole di vetro et sous une bonne demi-douzaine d’autres titres). Débutant, le futur réalisateur du Dernier train de la nuit (La bête tue de sang froid) décide de faire ses premières armes dans un genre porteur, le giallo. On signalera tout de même d’emblée que si le titre est souvent répertorié comme un giallo, cette appellation n’est pas tout à fait exacte et, en tout cas, très réductrice pour une œuvre dont le propre est de transcender ce genre.
Le journaliste Gregory Moore (Jean Sorel) est mort. C’est du moins ce que tout le monde croit. En réalité, l’homme est plongé dans un profond état de catalepsie. Parqué dans une morgue de Prague, il ne peut bouger mais son cerveau fonctionne encore et il parvient à voir le monde extérieur à travers son regard fixe. Unique signe de vie : une température corporelle un peu trop élevée pour un cadavre. Le seul espoir de Moore est un ami médecin qui a encore quelques doutes quant à la réalité de ce décès. Espérant être sauvé par l’incrédulité de cet ami, notre mort bien vivant se remémore les circonstances qui l’ont mis dans cette délicate posture. Construite à rebours, l’intrigue nous donne à voir l’enquête privée menée par le reporter, alors lancé à la recherche de sa fiancée disparue.
Si Je suis vivant entretient des liens avec le giallo, c’est avant tout par son atmosphère (un lourd climat de suspicion) mais certainement pas par la présence d’un assassin ganté de noir et adepte de l’arme blanche. Un tel psychopathe, caractéristique essentielle du genre, il n’en est pas question ici. Le film commencé, le relatif classicisme de son scénario nous laisse tout le temps d’apprécier les indéniables qualités esthétiques du métrage. Réalisation au cordeau (scope précis et raffiné), belle photographie (Giuseppe Ruzzolini), cachet inimitable des extérieurs de la capitale tchèque et partition assurée par le maestro Ennio Morricone, on a connu pire. Mis à part un personnage principal à demi-mort (on songe bien sûr à Poe) et une construction en flashbacks, le schéma narratif, lui, demeure assez commun. Quant à cette fameuse critique de la classe dirigeante, elle se borne à des séquences nous dévoilant des nantis à l’aspect exsangue et poussiéreux, comme figés dans leurs privilèges. Bref, on s’attend à un final plutôt convenu. En somme, rien ne nous a préparés à la suite …
Au début du dernier acte surgit une séquence quasi-dantesque frappée d’un onirisme trouble. Complètement inattendu, le passage a pour seul équivalent le climax traumatisant de La maison aux fenêtres qui rient (Pupi Avati). Tout ce qui avait été maintenu jusqu’alors à l’état larvaire explose sans crier gare et le film prend alors tout son sens. Exit le petit polar convenable à l’ambiance soignée, bienvenue à l’œuvre tortueuse et troublante. Le scénario, écrit par Aldo Lado, démontre alors toute sa force et ce jusqu’à un épilogue qui vient enfoncer définitivement le clou. C’est aussi lors du dernier acte que survient la critique de l’élite au pouvoir, une classe sociale montrée ici comme une microsociété sectaire et déviante dont le degré de dépravation laisse pantois (on pense même au Society de Brian Yuzna).
Verdict :
Premier film très réussi, Je suis vivant se refuse à toute étiquette et s’impose avant tout comme une œuvre parfaitement maîtrisée qui installe le spectateur en terrain connu pour mieux le surprendre avec un dénouement cauchemardesque.
Une qualité d’image assez époustouflante pour un film à petit budget sorti à l’aube des années soixante-dix. Le master impressionne par sa propreté, sa limpidité et le rendu parfait des couleurs (la photographie de Ruzzolini en ressort grandie). Ajoutons à cela une compression invisible et l’on dispose de visuels qui n’auraient pu être meilleurs. Du tout bon.
Si l’on peut déplorer l’absence de piste italienne (la VO du film), on appréciera la bonne tenue des deux pistes proposées. Passons vite sur une version française techniquement correcte mais que des doublages vieillots tirent vers le bas pour évoquer une piste anglaise 2.0 très agréable. Bien mixée, cette dernière offre en effet un confort d’écoute saisissant pour un film de cet âge.
- Commentaire audio : Aiguillé par les questions pertinentes du journaliste F. Caddeo, Aldo Lado évoque tous les aspects du film et ses nombreux à-côtés. Rien n’est oublié dans ce commentaire passionnant.
- Portrait d’Aldo Lado (32 minutes) : Avec une mémoire en parfait état de marche et un recul appréciable, Lado balaie les différents aspects du film : titre, thématiques, écriture du scénario, choix des comédiens, montage, conditions de tournage et musique.
- Interview de Jean Sorel (12 minutes) : Un bonus qui transcende son sujet de base (le film de Lado) pour évoquer l’époque faste du cinéma italien et son évolution jusqu’à nos jours.
- Fiche technique.
- Filmographies.