Un jeune homosexuel tombe fou amoureux de Johnny, un immigré mexicain clandestin qui ne parle pas un mot d’anglais et qui n’a même pas 18 ans…
Inspiré du roman du même nom de Walt Curtis, « Mala Noche » est le premier long métrage réalisé par Gus Van Sant (Will Hunting, Elephant). Plus qu’une simple retranscription d’une sorte de journal intime d’un poète américain, ce film brille par la maîtrise impressionnante dont fait preuve le réalisateur.
Réalisé en 1985, « Mala Noche » donne l’impression d’avoir été tourné par un réalisateur déjà chevronné, tant les plans sont d’une exceptionnelle beauté et d’une fascinante maîtrise. En faisant référence à des réalisateurs tels que Coppola ou Hitchcock, Gus Van Sant utilise, à cause du peu de moyen dont il dispose, tout ce qui est à portée de main pour renforcer sa narration. De la lumière à la fois subjective et tranchante pour mieux appuyer sur la sensualité ou le dénuement total des jeunes immigrés. Le noir et blanc, habillant la différence entre les peaux, pour mieux exprimer le fossé qui sépare les personnages. Des dialogues distillés au grès des échanges sans jamais en rajouter de trop. Mais les meilleures idées du réalisateur restent à coup sur :
Tout d’abord l’utilisation de la caméra et de la subjectivité pour renforcer la narration, comme la scène de sexe, où la lumière mêlée à un mouvement de caméra proche des corps, les épousant et les suivant dans leurs ébats sans jamais les montrer réellement, reste un joyau de mise en scène, dont les références sont nombreuses, mais dont la maîtrise ne peut être que signée Gus Van Sant.
L’autre bonne idée reste l’utilisation en voix off du texte original de Walt Curtis, avec ce qu’il y a de froid et chaud mélangé et le style souvent cru de l’auteur, qui n’est pas sans rappeler pour nous, français, un certain Cyril Collard, qui brilla autant par son écriture, que par son style cinématographique. En utilisant l’auteur comme narrateur invisible des pensées du jeune homme amoureux, on plonge un peu plus dans un univers délaissé par l’amour, où le temps présent est fait de petits bonheurs éphémères, d’amours impossibles au grès de rencontres incertaines, dans des rues vidées de chaleur. Le style de Curtis, nous ramène à cette désillusion propre à bon nombre de nos sociétés, qui fait que l’amour est inabordable dès lors que la vie est faite d’errance. La solitude des uns et des autres se mêle dans cet étrange ballet que seul la police de l’immigration vient interrompre.
Le style de Walt Curtis et celui déjà minimaliste mais tellement talentueux de Gus Van Sant, nous font un constat bien sombre de cette jeunesse désoeuvrée, que traverse une vie faite de petits moments de bonheur glanés aux coins des rues et d’amertumes souvent interrompant le cour des choses. Un constat qui n’est pas sans rappeler les œuvres de Larry Clarck (Bully, Ken Park) ou de Gregg Araki (Doom Géneration, Mysterious Skin).
En conclusion, une œuvre majeure aux allures de mineure. Réalisé avec une maîtrise hors pair, « Mala Noche » dresse un constat bien sombre d’une jeunesse désoeuvrée. L’utilisation des éléments, qu’ils soient lumières ou décors en fait un film magnifiquement minimaliste et parfaitement maîtrisé.
Très complets, les bonus souffrent pourtant d’un traitement très intellectuel, dont le narrateur de la préface, n’est pas sans rappeler la voix Off du "cinéma de minuit" de notre enfance. Une explication de texte pourtant particulièrement intéressante, et surtout incroyablement complète. Puis une interview de Gus Van Sant qui revient avec tendresse et parfois amusement sur les aléas du tournage de ce premier film. Un peu soporifique, mais vraiment passionnante lorsqu’il explique les difficultés de distribution liées au sujet du film. Puis une nouvelle explication de texte sur la scène d’ouverture, afin de mieux comprendre la complexité des plans et des images utilisées par le réalisateur.
Enfin les bandes annonces des précédents films de Gus Van Sant : Gerry, Elephant et Last Days.