Nuit et brouillard

Le film

Sur un texte de Jean Cayrol, lu par Michel Bouquet, la caméra d'Alain Resnais pénètre tout d'abord dans les ruines délaissées d'un camp de concentration, pour ensuite céder la place à un montage d'images d'archives en noir et blanc. Description de l'univers concentrationnaire, l'horreur et la barbarie sont exposées au fil d'images de plus en plus insoutenables. Commenté avec grandeur et sérénité, le film s'achève sur la phrase: "il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, qui ne regardons pas autour de nous et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin."

 

La naissance du film

A l'origine, "Nuit est brouillard" vient d'une commande du Comité de la seconde guerre mondiale, pour le dixième anniversaire de la libération des camps de concentration. Alain Resnais, alors jeune réalisateur de courts métrages dont le dernier, "les statues meurent aussi", avait eu des problèmes avec la censure, est contacté par Anatole Dauman pour prendre en charge la réalisation d'un court métrage sur les camps de concentration. Resnais, qui ne sent pas le droit d'aborder ce sujet, est  d'abord réticent, puis finit par accepter quand il apprend que Jean Cayrol, lui-même ancien déporté, est associé au projet qui voit alors le jour sous la direction des historiens Henri Michel et Olga Wormser.

 

"L'affaire" nuit et brouillard

"Nuit et brouillard", sélectionné au festival de Cannes est retiré de la compétition sur ordre du C.N.C. suite à des protestations officielles de la RFA. L'opinion publique s'en émeut, ainsi que quelques journaux allemands, une campagne de presse milite en faveur du film d'Alain Resnais. Jean Cayrol écrit dans Le Monde: " La France refuse d’être la France de la vérité, car, la plus grande tuerie de tous les temps, elle ne l’accepte que dans la clandestinité de la mémoire. Pour des motifs politiques d’opportunités que notre propre pays n’aurait pu se permettre d’avoir, tout de même, sans le sacrifice de tant de concentrationnaires, elle arrache brusquement de l’Histoire les pages qui ne lui plaisent plus, elle retire la parole aux témoins ; elle se fait complice de l’horreur, car notre dénonciation ne portait pas seulement sur le système concentrationnaire nazi mais sur le système concentrationnaire en général, qui fait tâche d’huile et tâche de sang sur toute la Terre encore sinistrée par la guerre. (…) le public l’avait compris. Il suffisait de voir la sortie d’une salle où venait d’être donné Nuit et Brouillard."

 

La revue de presse

«Jamais témoignage plus hallucinant ne fut réalisé. Jamais on ne nous entraîna si loin dans les bas-fonds de l’horreur. Mais jamais non plus, pour décrire une telle ignominie, on ne fit preuve de plus de tact, de plus de sobriété et de chaleur humaine» Le Monde.
«... L’émotion ici est de telle sorte qu’elle vous laisse sans parole, sans souffle. [...] Voilà sans doute le seul film sur la tragédie de la déportation qui soit entièrement authentique, à la dimension de la mémoire et du cri». Les Lettres Françaises

 

Un dernier mot

Donner un avis sur ce film tiendrait de l'indécence et pour reprendre les mots de François Truffaut: "Nuit et brouillard" est une œuvre " incriticable, pour ne pas dire indiscutable ".

L'image, comme le son, a bénéficié d'une restauration. La plupart du temps en noir et blanc, l'image est d'une qualité correcte, tributaire évidemment de l'état des documents d'archives.

En mono, le son est de bonne qualité. Le commentaire et la musique de Hanns Eisler se distinguent parfaitement dans un bon mixage sans que l'un ne vienne masquer l'autre, sans souffle ni crachement. La qualité sonore des suppléments est également sans reproche, les voix sont très claires, et les 4 heures d'écoute se passent confortablement.

"Nuit et brouillard" est édité par Arte video dans une édition particulièrement luxueuse. Le DVD contenu dans un boîtier digipack est réuni avec un livre de 60 pages au sein d'un coffret cartonné. Les bonus contenus sur le DVD sont en quantité extraordinaire. Ce n'est pas moins de 4 heures de documents sonores qui sont réunis.

 

"Nuit et Brouillard - 1954/1994"

 

Un programme radiophonique réalisé pour France Culture par André Heinrich et Nicole Vuillaume, 40 ans après la sortie du film: sa genèse et sa réalisation, son accueil en France et à l'étranger, l'épisode du festival de cannes,  sa perception par les jeunes aujourd'hui…

Constitué de nombreuses interviews, de documents datant de l'époque de sa sortie, de lectures d'articles, ce programme passionnant est riche d'enseignements. Complément indispensable au film d'Alain Resnais. Jérôme Clément d'Arte, sur la préface du livre accompagnant cette édition: "le film parle de lui-même, avec ses images, bien sûr, avec le commentaire digne et fort de Jean Cayrol. Il nous a paru néanmoins utile de l'accompagner d'un dispositif qui aide à comprendre pourquoi ce film, conçu lui-même comme un "dispositif d'alerte", selon les mots de Jean Cayrol, conserve encore toute sa force."

Structuré en 10 chapitres, il est à regretter que la touche avance/retour rapide de la télécommande soit inefficace. En effet, il est impossible de revenir en arrière, la seule solution étant de se placer à nouveau en début du chapitre concerné. Comme la plupart des sections excédent 30 minutes, il faut veiller à ne rien louper lors de l'écoute, sous peine de devoir repartir à zéro.

 

 

1. Prologue et générique

Réquisitoire de Nüremberg

Texte de Elio Vittorini

 

2. La genèse du film

Exposition Résistance, Libération, Déportation: un projet de film

Olga Wormser: l'écriture du scénario avec Alain Resnais

Anatole Dauman: la prise de conscience de "l'immensité du défi"

Frédéric de Tovarnicki: la rencontre Anatole Dauman – Alain Resnais

Alain Resnais: le commentaire de Jean Cayrol

 

3. La réalisation du film

Lettre de Edouard Muzka: l'approbation du CNC

Sigmund Ribarsky: souvenirs de tournage et évocation de son internement dans un camp de travail

Sacha Vierny: le tournage

Alain Resnais: l'accès aux archives et le montage du film

Ida et André Pozner: Hanns Eisler et la musique du film

Olga Wormser

Ida et André Pozner: le tournage

Henri Colpi: précisions sur le montage son

Alain Resnais: participation de Michel Bouquet

Michel Bouquet: Alain Resnais veut obtenir un commentaire d'une "neutralité absolue"

Alain Resnais: les menaces de la commission de censure

Lettre de Chris Marker: l'histoire du képi

Alain Resnais

 

4. L'accueil du film

Pierre Daix (Les lettres françaises): "notre expérience sous l'angle de l'éternité"

Olga Wormser: l'accueil du film en Pologne

Jean Cayrol (Les lettres françaises): les intentions du film

 

5. Le festival de Cannes

Anatole Dauman: la sélection du film à Cannes

Louis-François Poncet: Nuit et brouillard "chagrine" les allemands

Anatole Dauman: le retrait du film de la sélection officielle

Article du Monde sur les réserves de l'attaché culturel de la R.F.A.

Max Douy: la pétition

Pierre Billard: "un choc cinématographique"

Jean Cayrol (Le Monde) proteste contre le retrait

Communiqué du Secrétaire d'Etat de l'Industrie et du Commerce "justifiant" le retrait

Daniel Mayer: la sortie du film dans le contexte politique de l'époque

Christian Pineau: "Pour un déporté, tout est au dessous de la réalité"

Article de Pierre Bloch: la banalisation du nazisme

Alain Resnais: la projection du film hors-festival

Article de Rico (L'espoir): Nuit et brouillard, un film "démagogique"

La délégation de R.F.A. se retire de Cannes

 

6. En France

Roger Boussinot

Jean Dutour (Carrefour): "Je voudrais que les enfants l'ignorent toujours"

Claude Mauriac (Le Figaro Littéraire): un film "nécessaire"

 

7. En Allemagne

Projection du film à Bonn

Olga Wormser

Anatole Dauman: cession des droits au gouvernement de la R.F.A.

Freddy Buache: violente opposition des ciné-clubs suisses de langue allemande

Klaus-Peter Ross: le choc de la découverte de la réalité concentrationnaire

 

8. En rapport à la spécificité juive

Serge Klarsfeld: "le film ne véhicule pas la spécificité juive."

Madeleine Ribérioux

Margarethe Von Trotta: propos sur la "culpabilité et refoulement de l'Allemagne". Extrait de son film Les années de plomb

 

9. Le film vu par les jeunes

Gabrielle Wennemer: projection du film en Allemagne

Abel Ségrétin: projection du film à l'Ecole alsacienne! Nuit et brouillard, "un film honnête, mais incomplet."

Texte de Serge Daney sur l'enseignement d'Henri Agel

 

10. Aujourd'hui

Discours du Président de la R.F.A. en 1985: "il ne peut y avoir de réconciliation sans souvenir."

Claude Lanzmann: l'absence de la spécificité juive dans le film.

Madeleine Rébérioux: Shoah et Nuit et brouillard sont complémentaires.

Heiner Müller: "En R.D.A. nous étions parmi les innocents."

Sacha Vierny: "Le film n'est pas anti-allemand."

Alain Resnais: "Nuit et brouillard, un film qui me dépasse de beaucoup."

 

 

Arte video

Cette section présente les bandes annonces de trois films édités par Arte video

-Les ailes du désir de Wim Wenders

-Le tambour, de Volker Schlöndorff

-Paris, Texas, de Wim Wenders

Ce sont des bandes annonces originales qui méritent un détour, un avant goût de trois films géniaux.

 

Crédits du DVD

 

 

Le livre

 

Cette édition est complétée d'un livre relié de 60 pages. Préfacé par Jérôme Clément, le président d'Arte. Très bien conçu, on y trouve tout d'abord une série d'articles directement liés au film:

 

Quelques dates

De 1954 à nos jours, les événements liés au film ainsi que des repères historique.

 

"nous avons conçu Nuit et brouillard comme un dispositif d'alerte", article de Jean Cayrol, extrait des Lettres françaises, n°606, février 1956.

 

Nuit et brouillard, texte de Jean Cayrol.

Il s'agit du commentaire de Jean Cayrol, pour le film Nuit et brouillard, qui est retranscrit dans son intégralité.

 

Les raisons (officielles) du retrait de Nuit et brouillard, extrait du Figaro du 12 avril 1956.

 

Nuit et brouillard écarté du festival de Cannes, article de Jean Cayrol extrait du Monde le 11 avril 1956.

 

Interview d'Alain Resnais, enregistrée le 18 février 1986 à Paris.

 

Les démocrates allemands interpellent le gouvernement fédéral à propos de nuit et brouillard, extrait de L'écho de la liberté du 19 avril 1956.

 

La peur des images, article de George Altman, extrait du Franc-tireur du 20 avril 1956.

 

Au cinéma d'essai, de Resnais à Leenhardt, article de Claude Mauriac, extrait du Figaro littéraire du 26 mai 1956.

 

Nuit et brouillard présenté en Allemagne, réactions du public après la projection du film.

 

 

La seconde partie de ce livre est constituée de documents inédits tels que photos de l'époque du tournage, reproduction de lettres.

On y trouve les biographies des intervenants de l'émission de France culture.