L'histoire :
Tokyo, de nos jours. Un quartier résidentiel où circulent les tramways. Yoko revient d'un séjour à Taiwan, elle décide de visiter une librairie à Jimbocho, le quartier des bouquinistes. Hajime, un garçon plutôt silencieux qui aime enregistrer le bruit des trains qui traversent la ville, dirige la boutique. Après le divorce de ses parents, Yoko a été élevée par son oncle à Yubari, au nord du pays. Aujourd'hui, elle reprend contact avec son père et sa nouvelle épouse.
Critique subjective :
Hou Hsiao Hsien (HHH), est considéré comme l’animateur principal de « la nouvelle vague taiwanaise » et a vu son talent reconnaître par divers prix dont le prix de la critique internationale 1985 à Berlin avec
Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), le Lion d’Or à Venise avec La cité des douleurs (1989) en 1989 ou le prix du jury du festival de Cannes pour Le maître de marionnettes (1995).
Café lumière est le titre français de ce film dont le titre original Kohi Jikou, veut dire littéralement quelque chose comme « Café lumière et temps » car comme l’explique très bien Alain Bergala dans les bonus, on n’a pas un mot en français pour dire lumière et temps à la fois. Cette double signification est importante pour saisir pleinement dans quelle direction s’est dirigé HHH pour faire ce film de commande en hommage à Yasujiro Ozu. HHH devait faire un film Japonais ce qui est une gageure pour un taiwanais et il fallait que le réalisateur trouve des articulations conceptuelles et esthétiques pour mettre ce projet sur de bons rails.
Café lumière est un des rares cas où le maître taiwanais a accepté de se livrer à un travail de commande ce qu’il a consenti pour Yasujiro Ozu qu’il admire et qui l’a conduit de fait à travailler avec une production japonaise. HHH et son producteur Liao Ching-Sung (son chef-monteur depuis 30 ans, devenu aussi son producteur à la demande du réalisateur) ont du s’acclimater à la production japonaise où tout est très compartimenté avec des réunions à répétition alors que le réalisateur aime aller vite.
Ainsi, pour parler de lumière et de temps, HHH a filmé la lumière et ses variations dans le temps à la manière de l’essais vidéo du vidéaste et théoricien du cinéma Thierry Kuntzel dans Time Smoking a Picture (1980, 38 mi). Les deux œuvres partagent une vision du temps qui passe formalisée par la variation lumineuse et chromatique de l’image. La lumière en mouvement, ses variations donnent la vie en tant que fond vivant et grouillant de réverbérations. Dans Café lumière, on retrouve plusieurs références à l’histoire de l’art à laquelle HHH emprunte certains procédés et dispositifs comme celui de la caméra obscura ou d’un espace perspectif réversible selon la manière choisie pour faire passer la lumière sur l’espace des surfaces comme on le voit avec les deux scènes qui se déroulent dans la librairie de l’ami de la journaliste. La lumière y est très mouvante et vient éclairer les livres et les parois de l’espace intérieur alors que le plan est fixe. La fluctuation lumineuse donne alors brusquement la sensation que la librairie est comme un métro en mouvement à l’intérieur duquel la lumière pénètre par faisceaux irréguliers.
Dès le premier plan HHH fait voir au spectateur la journaliste de dos, face à une grande fenêtre dans une pièce, un espace perspectif.
Dans le fond, on distingue des façades de maisons qui semblent être des formes rectangulaires plus ou moins abstraites. Ce principe est la matrice de plan inventé par HHH pour ce film et il s’y tient ce qui lui permet de faire le lien avec Yasujiro Ozu qui produisait aussi des plans similaires avec des arrière-plans où l’on distinguait des formes abstraites. A la différence, HHH accorde plus d’importance à cet arrière-plan en s’en servant comme écran lumineux. Les fonds des plans de HHH sont alors comme des tableaux du peintre Paul Klee. On a donc des carrés de couleur et des éclats de lumière qui bougent dans le fond et dans l’espace de vision construit par moment selon un principe d’emboîtement d’espaces plan ou volumétriques. Il devient naturel d’avoir les personnages de dos pour pouvoir avoir la lumière face à nous.
Selon cette même logique, HHH choisit un diaphragme qui ne sera jamais changé pour tout le film même si l’image présente une lumière brûlée. Ainsi, le chef opérateur conserve le coté lumineux de l’été quand la scène se déroule à l’extérieur tandis que dès que l’on passe à des zones protégées du soleil comme à l’intérieur du métro, on est presque dans le noir.
On obtient un contraste très marqué entre la lumière et l’obscurité qu’HHH pousse à l’extrême en filmant la journaliste de nuit dans une grande pièce sombre qui est illuminée par les éclairs. La caméra suit la journaliste de loin, en la protégeant à distance d’œil sans que l’on ne puisse la voir une seule fois en gros plan. Il faut attendre d’avancer dans le film et l’histoire pour la découvrir en gros plan et voir le détail de son visage pour se rendre compte qu’elle a quelque chose d’une icône japonaise.
La journaliste mène une enquête sur Jiang Wenye, un compositeur taiwanais qui avait trouvé le succès au japon. HHH va à la rencontre de Tokyo comme la jeune journaliste enquête sur un musicien Taiwanais ; c’est le lien entre Taiwan et le Japon. La journaliste va nous ramener à l’époque de Ozu grâce à l’album de photo que lui montre la veuve du musicien. On trouve ainsi de nombreux allers-retours entre le cinéma et l’époque de Yasujiro Ozu et le cinéma de HHH ce qui donne lieu à un mélange de plans à la Ozu (plan contenant de nombreux cadres et formes rectangulaires, plans bas par rapport aux personnages), à des utilisations de champs contre champs symétrique et qui pousse HHH à nous expulser d’une scène à la Yasujiro Ozu (à la 25ème mn) pour retomber dans un style déjà utilisé par HHH pour raconter sa vie et celle de Taiwan notamment.
Café lumière développe à la fois un scénario à la Ozu que Alain Bergala résume par la question « qu’est-ce qui ce passe quand une fille a l’âge de se marier ? » et la prise en compte par HHH de l’évolution des mœurs qui veulent que les filles d’aujourd’hui ne partagent pas forcément l’idéologie des parents comme ça l’était à l’époque de Yasujiro Ozu. Ainsi, les parents de la journaliste ne comprennent pas pourquoi elle ne veut pas se marier avec le père de son futur enfant et envisage de l’élever seule. HHH montre simplement la rupture entre les générations à la manière de Ozu qui était aussi un très bon observateur de son temps. On ressent l’entrelacs du réseau du métro dans la ville comme une métaphore de la vie ou des gens se croisent mais ne se voient pas forcement. La caméra elle peut les voir et filmer les rencontres et les non rencontres comme dans ce fameux plan ou les deux héros sont chacun dans un train et où le métro du libraire double le métro de la journaliste sans qu’ils ne se voient. Un plan qui a été tourné 13 fois dans un métro japonais particulièrement difficile à utiliser pour un tournage.
HHH a filmé en choisissant des lignes du plan du métro afin de décrire le parcours familier de la journaliste dans la ville et de pouvoir ensuite la suivre à distance, seule, faisant ressortir une forme d’individualisme actuel et que permet et renforce la ville où toutes les formes de vies sont permises. On obtient un impression très réelle de la vie de cette jeune femme dans une grande ville japonaise.
HHH confie que l’instant qu’il aime sur un tournage c’est quand il obtient cet instant qu’il qualifie « d’équivalent de la réalité. » Une réalité recréée quasi équivalente à la réalité qui lui donne l’impression que le cinéma devient éternel.
Verdict :
Café lumière est un des rares cas où le maître taiwanais a accepté de se livrer à un travail de commande ce qu’il a consenti pour OZU qu’il admire et qui l’a conduit de fait à travailler avec une production japonaise. Café lumière est un film d’auteur au rythme assez lent où il faut laisser à la lumière le temps de changer pour percevoir le temps qui passe.