L’histoire
Enquêtant sur l'assassinat d'un ancien combattant juif, le capitaine Finlay (Robert Young) apprend que la victime a passé ses dernières heures avec trois soldats en permission, Monty Montgomery (Robert Ryan), Floyd Bowers et Arthur Mitchell dont le porte-feuille a été retrouvé près du cadavre. Mais Finlay rencontre le sergent Keeley (Robert Mitchum), lui-même persuadé de l'innocence de Mithchell...
La critique
La carrière du réalisateur Edward Dmytryk est des plus chaotiques. Né d’immigrants ukrainiens, il part tenter sa chance à Hollywood dès l’adolescence. Dans les années 40, il est déjà considéré comme l’un des réalisateurs les plus prometteurs de sa génération. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il va participer à l’effort nationale en réalisant des films de propagande tels que
Les enfants d’Hitler et
Face au soleil levant.
Au sortir de la guerre, il réalise
Feux croisés, ce sera un succès public et critique avec des nominations aux Oscars à la clé. Pour autant, tous ces honneurs n’empêcheront sa carrière de prendre un sérieux coup dans l’aile lorsque le sénateur McCarthy lancera sa fameuse chasse aux sorcières, avec Dmytryk en point de mire. Le réalisateur sera d’abord blacklisté comme beaucoup de gens de la profession, puis entendu devant la commission pour son appartenance passée au parti communiste et son militantisme qui, lui, ne s’est jamais démenti. Suite à sa comparution, il fera de la prison pour n’avoir pas donné de noms. Son séjour carcéral et sa faillite personnelle le décideront enfin à en lâcher quelques uns. Il réalisera par la suite quelques œuvres d’importance avec Marlon Brando (le film de guerre
Le bal des Maudits), Humphrey Bogart (le film de marin
Ouragan sur le Caine), enfin avec Spencer Tracy et Henry Fonda dans deux excellents westerns (respectivement
La lance brisée et
L’homme aux colts d’or). A la fin des années 70, il arrête sa carrière pour devenir professeur de cinéma.
Feux croisés est l’adaptation du livre « The brick foxhole » du scénariste et réalisateur Richard Brooks. L’œuvre originale abordait le problème de l’intolérance à travers un crime haineux et mystérieux, la variante étant que le livre dépeignait un meurtre homophobe tandis que le film le change en crime antisémite. Ce réajustement était inévitable compte tenu de l’état d’esprit de l’époque sur ces questions, peu enclin à la tolérance. Mais on peut trouver aussi que le fait de traiter de l’antisémitisme côté américain et dans le contexte de l’après guerre, c’était aussi sacrément courageux !
Le film jouit d’un casting trois étoiles, composé de trois fortes personnalités dans les rôle titres. L’interprétation de Robert Ryan se distingue des autres, notamment dans sa façon de souffler le chaud et le froid, entre force haineuse et fragilité. Robert Young joue l’enquêteur, c’est lui qui va découvrir la véritable identité du tueur. Il est le personnage typique du film criminel, instinctif et réfléchi à la fois, pas de surprise de ce côté-là. En revanche, on peut regretter la sous-exploitation de Robert Mitchum, qu’on retrouve pourtant sur la pochette du dvd alors que son personnage n’est que secondaire. Dommage car ses apparitions sont plaisantes par le décalage qu’elles amènent, entre le sérieux de son grade de sergent et la décontraction affichée dans l’interprétation de Robert Mitchum.
Véritable brûlot contre l’intolérance,
Feux croisés est également un film dans lequel Dmytryk dévoile de manière ostensible sa vision du monde. Le tueur antisémite semble téléguidé par un scénario qui se fait de plus en plus pédagogique. Ce film n’est donc pas « l’une des plus brilantes et intelligentes dénonciations de l’antisémitisme », contrairement à ce que dit Serge Grunberg dans sa présentation.
En tant que film noir, Feux croisés est une valeur sûre du genre. Le style de Dmytryk est exemplaire de cela, en alternant zones d’ombre et lumières crues. Comme plaidoyer antiraciste, le film paraît certes simpliste dans son exposition, mais il reste pourtant d’actualité. En 50 ans, les préjugés et la haine qui les accompagnent ne se sont pas taris, bien au contraire, et Feux croisés est là pour nous le rappeler.
L’image proposée est en 4/3 noir et blanc, elle ne souffre pas de défauts majeurs. Le contraste est bon, et les noirs sont profonds, chose importante compte tenu des nombreux jeux de lumières utilisés ici. Les Editions Montparnasse nous gratifie d’une très bonne copie pour ce titre d’importance.
Deux pistes sont disponibles, anglais ou français. Dans les deux cas, le film souffre d’un bourdonnement relativement gênant, qui le devient davantage encore sur une installation de qualité. Un défaut bien compréhensible pour ce film vieux de 50 ans, et tourné pour un maigre budget.