L'histoire :
Au début des années soixante-dix sur la côte nord-ouest de l'Ecosse, la communauté d'une petite ville célèbre à contrecoeur le mariage de Bess, jeune fille naïve et pieuse, et de Jan, homme d'âge mûr qui travaille sur une plate-forme pétrolière. Leur bonheur va être brisé par un accident qui va paralyser Jan.
Critique subjective :
Un film de Lars Von Trier annonce souvent la promesse d’une expérience cinématographique inédite ou qui pousse le spectateur dans ses derniers retranchements. Le réalisateur, acteur, Directeur de la photographie et scénariste danois poursuit les idoles de sa jeunesse. Il vénère les films de Carl Theodor Dreyer et d'Andrei Tarkovski depuis sa jeunesse.
Sa filmographie est ponctuée de projets marqués par un certain sens conceptuel qui le pousse à s’engager dans des projets comme le dogme, à réaliser des trilogies ou poursuivre des tournages sur plusieurs années (selon un protocole et un ensemble de règles clairement définis. Il fait ses premiers pas vers le cinéma en réalisant des courts-métrages comme The Orchid Gardener et Mantes la bienheureuse qui lui ont permis d’être accepté en 1978 en tant qu’étudiant au Danish Film Institute. Il y réalise trois autres courts métrages, Nocturn, The Last detail et Images d'une libération. Il réalise ensuite des clips rock et des spots publicitaires puis commence la trilogie Européenne dite en « E » avec son premier long-métrage Element of Crime (1984), Epidemic (1987) et Europa (1990).
Cette trilogie sera suivie d’une nouvelle trilogie, "Coeur d'or", en référence à un conte qu'il aimait beaucoup dans son enfance et qui consacre la générosité dont sont capables certaines femmes en dépit des sacrifices qu’il faut consentir. Cette trilogie se compose de Breaking the waves (1996, Prix Spécial du Jury à Cannes) propulsant Emily Watson au premier plan, Les idiots (Idioterne) en 1998 qui est sa contribution au mouvement Dogma, et de Dancer in the dark (2000, Palme d'Or à Cannes) avec la chanteuse islandaise Bjork.
Les Idiots est tourné selon les préceptes du "dogme" après le saisissant 1er film du Dogme, Festen du réalisateur Thomas Vinterberg. Pour sa dernière réalisation il met en scène Nicole Kidman dans Dogville, un film étrange par sa mise en scène qui tient autant du théâtre que de l’installation.Il poursuit également le projet Dimension qui devra aboutir à un film qui ne sortira qu'en 2024 et pour lequel il tourne chaque année trois minutes de film consacré aux mêmes personnes sur plusieurs années. On a par ailleurs pu le voir dans le
film Five Obstructions qu’il a co-réalisé avec Jørgen Leth. On y perçoit le côté sardonique de sa personnalité alors qu’il impose à Jørgen Leth des épreuves cinématographiques qui dépassent le cadre de la fiction.
Breaking the waves, Les Idiots et Dancer in the dark sont clairement des histoires mettant en scène des personnages féminins accablés par une forme d’handicap mais qui montrent également une surprenante capacité au sacrifice. Dans Breaking the Wave, Bess est une fille naïve et pieuse qu’on pourrait qualifiée de simple d’esprit, Karen l’héroïne de Les Idiots ne semble pas très équilibrer et Selma dans Dancer in the dark est atteinte d’une forme de cécité. De plus, les trois femmes font preuve d’une naïveté relative qui nous les font percevoir dans un premier temps comme des personnes candides, innocentes et fragiles mais l’on se rend assez vite compte qu’elles sont capables d’aller bien plus loin dans le sacrifice que la plupart des autres personnages.
Dans les trois histoires, les héroïnes de la trilogie "Coeur d'or" parviennent comme dans le conte de l’enfance de Lars Von Trier à dépasser ce qu’elle sont et ce qu’elle peuvent pour atteindre une sorte d’épiphanie dont les cloches qui sonnent dans les nuages vers la fin de Breaking the waves constituent la révélation. De même Karen ira jusqu’au bout pour atteindre son clown ce qui dans la logique des Idiots implique d’atteindre un état qui laissera sa propre mère penser que sa fille est perdue pour le sens commun donné à cette expression mais trouvé ou retrouvé pour Karen. Selma quant à elle, à l’instar de Bess qui meurt pour sauver son amour, fera le sacrifice ultime de sa vie pour sauver celle de l’être qu’elle aime par-dessus tout, son fils.
La figure de l’idiot est une figure archétypale et récurrente dans la littérature et dans l’histoire. Idiot, dans le lexique gréco-latin, signifie extraordinaire, unique et, par extension, sans double. Le terme désigne une figure imaginaire stigmatisant l’exclusion, la différence, l’originalité et la singularité à l’image de l’idiot médical mais aussi de celui qui fait l’Idiot en montrant son obsession à développer des projets artistiques ou qui dépassent l’entendement.
C’est la différence entre l’être idiot et le faire l’Idiot. Les héroïnes de Lars Von Trier peuvent être associées aux deux facettes de la figure de l’Idiot. Dans Breaking the waves et Dancer in the dark on est particulièrement intrigué voire énervé par la bêtise ou la naïveté des deux femmes tandis que Karen rayonne presque d’atteindre cet état épiphanique car prophétique dans lequel se situe l’Idiot. Ces femmes sont dotées par le réalisateur d’une aura qui séduit jusqu’au Médecin dans Breaking the waves, concentre toute l’attention de la troupe des idiots sur Karen, celle qui a atteint son Idiot et est élevée au rang de prophète tandis que Selma transforme le monde en mélodie du bonheur alors même que sa trajectoire la conduit inexorablement à la mort.
La particularité de Breaking the waves est d’avoir été tourné caméra à l’épaule. On note aussi dans l’extrait du documentaire « Transformer - A film about Lars Von Trier » que les décors avaient été conçus pour être étroits et induire une manière de filmer mettant en évidence l’étroitesse d’esprit de la communauté d’appartenance de Bess qui à une personnalité surdimensionnée pour son cadre. Ce premier volet de la trilogie se caractérise également par une structure en chapitre ou acte selon que l’on ramène le film à une forme livresque ou théâtrale.
Les trois films sont très forts et laisse un souvenir d’autant plus présent que les castings réunis sur ces films sont particulièrement pertinents et réussis. Deux des films de la Trilogie ont été primés au festival de Cannes.
Verdict :
En dépit de la réputation discutée de Lars Von Trier et de ses partis pris conceptuels très affirmés son cinéma semble confirmer une démarche artistique amenée à compter. Le réalisateur qui semble particulièrement friand de nouvelles règles de création nous promet certainement de futures réalisations tonitruantes. Cette édition qui présente un film tout a fait intéressant présente quelques points négatifs qu’il faudra prendre en compte pour orienter un achat.