L'histoire :
Dans sa petite chambre d'hôtel, Chow Mo Wan, écrivain en mal d'inspiration, tente de finir un livre de science-fiction situé en 2046. A travers l'écriture, Chow se souvient des femmes qui ont traversé son existence solitaire. Passionnées, cérébrales ou romantiques, elles ont chacune laissé une trace indélébile dans sa mémoire et nourri son imaginaire.
Critique subjective :
Wong Kar-Wai présente 2046 qui est une variation futuriste de In the mood for love, et un film-somme entretenant un réseau de relations étroites avec certains de ses films. L’occasion de découvrir un projet qui aura nécessité quatre années de travail et où l’on retrouve à nouveau son acteur fétiche,
Tony Leung Chiu-Wai entouré d’un casting féminin exceptionnel et charmant dont
Zhang Ziyi,
Gong Li, Faye Wong, Carina Lau Ka Ling ou
Maggie Cheung.
Depuis l'immense succès de
Chunking Express (1994), son quatrième long métrage, Wong Kar-Wai a accédé au statut de réalisateur culte. Les spectateurs ont alors réévalué à la hausse ses films antérieurs, As tears go by (1988),
Nos années sauvages (1991) dans lequel joue Maggie Cheung et Les cendres du temps (1994). Maggie Cheung qui signe d’ailleurs avec
2046 (critique cinéma) sa cinquième et brève collaboration avec
Wong Kar-Wai en donnant une fois de plus la réplique à Tony Leung Chiu-Wai.
La filmographie de
Tony Leung Chiu-Wai se confond avec celle de Wong Kar-Wai pour lequel l’amoureux de In the mood for love qui lui a valu le Prix d'interprétation masculin du Festival de Cannes 2000, est un de ses acteurs fétiches et a déjà figuré à l’affiche de 6 de ses films (Nos années sauvages (1991), Les cendres du temps (1994), Chunking Express (1994), Happy Together (1997), In the mood for love (2000) et 2046 (2003)).
Tony Leung Chiu-Wai représente l’acteur asiatique masculin par excellence qui s’impose en occident avec des films comme Cyclo de Tran Anh Hung(1995), Histoire de fantômes chinois 3 (1991) de Tsui Hark, Hero (2003) de Zhang Yimou ou encore les polars Infernal Affairs (2004) réalisé par Andrew Lau et Alan Mak. Dans 2046, Tony Leung Chiu-Wai revient avec un Mr. Chow plus cynique, seule une moustache différencie les deux variantes du personnage.
Pour 2046,
Wong Kar-Wai a décidé de réunir quelques-unes des plus belles femmes du cinéma asiatique afin qu’elles soient comme autant de facettes d’un modèle de la femme idéale pour le personnage de Tony Leung Chiu-Wai, mais il s’agit de fait de l’image sublimée d’une femme qui n’existe pas. Toutes les femmes de 2046 jouent le même rôle et chaque partie du film autour d’une des femmes (
Gong Li, Faye Wong,
Zhang Ziyi, Carina Lau Ka Ling, Siu Ping Lam, Maggie Cheung ou Dong Jie) révèle quelque chose sur le passé de Mr. Chow (Tony Leung Chiu-Wai).
Gong Li(Su Li Zhen) qu’il rencontre dans un tripot à Singapour lui rappelle qu’il est obsédé par le passé vécu avec la première Su Li Zhen interprétée par Maggie Cheung dans Nos années sauvages (1991) et In the Mood for love (2000) que Wong Kar-Wai fait revenir dans 2046 un peu comme une apparition, un souvenir, une image mentale. Gong Li est cette superbe actrice à la beauté changeante qui figure dans plusieurs des réalisations de
Zhang Yimou, son ex-époux dont Le Sorgho rouge (1987), Epouses et Concubines (1991), Qiu Ju une femme chinoise (1992), Vivre (1993),
Shanghai Triad (1995). On a aussi pu la voir dans Adieu ma concubine (1992) ou
L’empereur et l’assassin (1999) de
Chen Kaige et joue dans Eros (2003) la trilogie réalisée (sortie le 06 Juillet 2005) par
Steven Soderbergh, Michelangelo Antonioni,
Wong Kar-Wai.
Avec
Zhang Ziyi, Mr. Chow veut une relation concrète mais finit par la rater car si la rencontre de l’âme sœur arrive trop tôt ou trop tard on peut la rater. Mr. Chow est hanté par la perfection de Su Li Zhen ce qui l’empêche d’apprécier une nouvelle femme à sa juste valeur. Zhang Ziyi que l’on découvre dans un registre un peu différent a beaucoup appris sur ce tournage. Elle devient une actrice incontournable dans le cinéma asiatique puisqu’elle a déjà tourné dans Hero (2002) ou Le Secret des poignards volants (2003,
critique cinéma) de
Zhang Yimou. D’autres collaborations importantes se sont multipliées avec Rush hour 2 (2001), Tigre et dragon (2000) de Ang Lee, La Légende de Zu (2001) de
Tsui Hark.
Carina Lau Ka Ling poursuit une belle carrière depuis une vingtaine d’année. Elle incarne la Lulu de Nos années sauvages (1990) dont elle prolonge le personnage dans 2046 mais sous l’apparence de la nouvelle Mimi que retrouve Mr. Chow par hasard. Elle avait déjà tourné avec
Wong Kar-Wai dans Les cendres du temps (Ashes of time, 1994) ainsi que Nos années sauvages (1990), mais elle figure également à l’affiche de Les Fleurs de Shanghai (1998) de
Hou Hsiao Hsien et des Infernal Affairs II (2003) et III (2004).
Le casting extraordinaire de 2046 se complète du jeune acteur japonais Takuya Kimura qui est une vraie star dans son pays. Il incarne Tak, le personnage japonais errant dans le train 2046. Il a tourné principalement dans des séries télévisées. L’acteur Chang Chen incarne l’androïde cc1966 et figurait par ailleurs dans
Happy Together (1997) de Wong Kar-Wai, Betelnut Beauty (2001) ou la trilogie Eros (2004). Bien sure, on retrouve également
Faye Wong qui incarne deux personnages (la fille aînée du directeur de l’hôtel et l’androïde wjw1967). Elle a déjà tourné dans le sympathique
ChungKing Express (1994) et poursuit une carrière musicale importante. Maggie Cheung que l’on a vu récemment dans
Clean (2004) et qui a déjà joué dans As Tears go by (1988),
Nos années sauvages (1990), Les Cendres du temps (1994) et surtout In the Mood for Love (2000) de Wong Kar-Wai revient cette fois très brièvement dans 2046.
Des différentes femmes du film, si
Gong Li (Su Li Zhen ou la mygale toute de noir vêtue) lui rappelle qu’il est obsédé par le passé, Zhang Ziyi (Bai Ling) interprète celle qui incarne le temps présent. En s’installant dans la chambre d’hôtel voisine, elle crée une intimité avec Mr. Chow qui provoque le désir, le désespoir, puis la jouissance éphémère, ainsi que de soudains accès de colère et de rancœur.
Zhang Ziyi est le symbole d’un appétit de vie décadent et débordant tout à la fois. Les mélodies de Dean Martin, Connie Francis, les rythmes de rumba et de cha-cha-cha évoquent alors l’érotisme qui se dégage de la comédienne et qui avait attiré Chow.
Faye Wong sous les traits de l’androïde incarne un futur exploré par le biais de la narration permise par le roman. On y voit un japonais qui entretien une relation avec cette femme androïde. Ici, il s’agit d’une histoire d’amour imparfaite, pleine d’obstacles qui font écho à ceux de la fille aîné du directeur de l’hôtel, l’autre personnage de Faye Wong qui veut renoncer à son histoire d’amour avec son amant japonais.
Le personnage japonais du roman 2047 écrit par
Tony Leung Chiu-Wai, Incarne Mr. Chow qui vit des relations différées avec les androïdes. Ces femmes androïdes se détraquent et elles finissent par ressentir les émotions avec plusieurs heures de décalage. En fait, avec 2046 Mr. Chow en apprend plus sur lui-même que sur les femmes. Mr. Chow est un collectionneur de temps et ceci est d’autant plus évident qu’il est écrivain et qu’on le voit rester immobile, la plume suspendue comme en panne d’inspiration au dessus de sa feuille. En tant qu’écrivain il met le monde en mouvement par son immobilité, explore le temps et à la capacité de créer des personnages en leur inventant une affectivité. Comme le révèle Tony Leung, Wong Kar-Wai écrit beaucoup, parfois il s’endort sur son bureau puis se réveille et recommence à écrire. Mr. Chow c’est Wong kar-Wai lui-même qui écrit et bien que le temps s’écoule, il reste assit à écrire comme le réalisateur dans la vie réelle. L’écrivain met le monde en mouvement par son immobilité mais le réalisateur arrête le temps en image et épaissit la durée par le ralenti, quoi de plus naturel.
Avec 2046, on est dans le royaume de la composition, plan par plan. Des décors verts intenses et chatoyants fricottent avec une robe rouge. Le rouge toujours si intense, qui désigne le personnage qui porte la passion. Tantôt celle de la fille aînée du directeur de l’hôtel que Mr. Chow semble vouloir séduire mais qui se marrie finalement avec son amoureux japonais ou la robe tachetée de rouge de l’incendiaire Mlle Bai (Zhang Ziyi). Wong Kar-wai distillent des blocs de sensation en image, emmitouflé dans une gangue musicale.
Alors Wong Kar-Wai qui possède
l’art de la ritournelle accompagne chaque actrice d’une musique. Gong Li qui représente le passé et incarne le personnage complexe de la mygale est accompagnée d’extraits élégiaques et nostalgiques de la Polonaise de Long Journey d’Umebayashi et par une partition inédite de Peer Raben, Sisyphos at work, elle–même inspirée d’un thème inspirée d’un thème composé pour La Troisième génération de Rainer Werner Fassbinder (1979). Carina Lau (lulu/mimi) introduit un autre thème mélancolique, extrait de la bande originale de Querelle (1982) de Fassbinder.
Zhang Ziyi est accompagnée des mélodies de Dean Martin, d’un mélange de cha-cha-cha et de rumba tandis la fille du patron incarnée par
Faye Wong, l’amoureuse de Chungking Express est entourée de l’aire de l’Adagio de Secret Garden (pour l’androïde) et de la Costa de Bellini pour l’autre personnage.
Musique d’une légèreté affolante pour le flirt retrouvé une fois la relation avec
Zhang Ziyi terminée, musique nostalgique lors de la lecture de la lettre de l’amant japonais par la fille du patron. La musique fait son cinéma.
Wong Kar-Wai fait des ritournelles en musique, les personnages réapparaissent tels des atavismes, des résurgences et pourtant le réalisateur maintient Hong Kong dans les années 60. Même si 2046 explore le futur en faisant un détour par l’imagination de Mr. Chow, c’est une vision du futur selon les critères d’un homme vivant dans les années 60. La ville qui a été créée (par la société française d’effets spéciaux Buf) reste un univers sans horizon. Elle bouche l’horizon et on y navigue avec de longs travellings et avec des trains qui la parcourent en serpentant entre les immeubles. Wong Kar-Wai explique qu’il a eu l’idée de faire 2046 avant 1997. Alors que Hong Kong allait devenir chinois, les autorités ont promis une période de 50 années sans changement jusqu'en 2046. Ca l'amusait d'associer ce chiffre à une histoire d'amour, parce qu'au début d'une relation on ne sait pas si ça va durer. Il y a-t-il quelque chose d'immuable dans ce monde ?
Parmi les emprunts et les connexions opérés par Wong Kar-Wai on note plusieurs variations de scènes déjà rencontrées antérieurement. A la 43ème minute, la scène dans le taxi avec
Tony Leung Chiu-Wai et Zhang Ziyi rappelle celle de In the mood for love qui est reprise plus loin mais cette fois avec Maggie Cheung. Ces scènes se rapportent également à une autre scène comparable entre les deux amants de Happy Together. La scène ou l’androïde regarde par la vitre du train est très proche formellement de celle ou la même actrice (Faye Wong) regarde à travers une vitre dans ChungKing Express. La boucle est bouclée.
D'une certaine manière 2046 est
un bilan des films précédents et un film-somme. La musique, les personnages, les histoires, les lieux concourent à faire de 2046 le prisme des amours d’un homme autour duquel il y a autant de femmes différentes pour autant d’histoires singulières. Wong Kar-Wai tente de construire un cristal dont le centre est le couple Su Li Zhen/Mr. Chow et les facettes toutes les femmes qui lui permettent d’explorer le temps. Ceci prend une tournure d’autant plus étrange et évidente quand on sait que Wong Kar-Wai va tourner avec Nicole Kidman un film qui s’intitulera La Dame de Shanghai(2006) (remake de La Dame de Shanghai
d’Orson Welles (1948) ?) . La dame de Shanghai d’Orson Welles comporte une scène assez fascinante où le personnage féminin est réfléchit dans des miroirs.
Gilles Deleuze l’a analysé comme étant une illustration de son concept de cristallisation résultant de l’échange perpétuel entre l’actuel (la dame) et le virtuel (ses reflets). Le choix de ce titre directement connecté au film culte d’Orson Welles et l’exploration du processus de cristallisation laisse présager une réalisation d’autant plus extraordinaire qu’elle devrait réunir
Wong Kar-Wai, Nicole Kidman et
Takeshi Kitano.
Verdict :
2046 n’est pas le meilleur film de Wong Kar-Wai car on il lui manque un peu de cette fluidité évidente de In the mood for love. A certains égards, 2046 semble être à la fois un film bilan, un film-somme et une œuvre ouverte entretenant des relations avec certains films du réalisateur et d’autres films par le biais d’emprunts musicaux notamment. Cependant, avec 2046 se joue une articulation esthétique et conceptuelle qui mérite de l’attention d’autant que cette édition est faite pour vous permettre une excellente expérience visuelle et sonore.