L'histoire :
Rokuchan, un jeune garçon, s'imagine aux commandes d'un tramway. Le médecin du quartier, lui, refuse de dénoncer un voleur, sauve un désespéré, désarme un ivrogne... Autant d'exclus et de rêveurs dont les destins vont peu à peu se croiser...
Critique artistique :
De
Akira Kurosawa l’on se rappelle certainement des 7 Samouraïs (1945) mais aussi Rashomon (1950), L'Idiot (1951), Vivre (1952),
La forteresse cachée (1958), Kagemusha, l'ombre du guerrier (1980) ou
Ran (1985). La filmographie du réalisateur nippon est assez riche et on lui compte notamment le scénario du film Après la pluie (1999), réalisé par Takashi Koizumi, son assistant durant de nombreuses années et coproduit par Elie Chouraqui. Parmi ses films, Dodes’Kaden marque l’utilisation de la couleur par Akira Kurosawa qui revenait à la réalisation après l’échec du projet de réalisation du film Tiger. A partir des années 70 et de l'échec commercial cinglant de Dodes’kaden qui entraîne la faillite de sa société de production, Kurosawa éprouve de plus en plus de mal à faire ses films au Japon. Son film suivant, L'Aigle de la Taiga (1975), oscar du meilleur film étranger en 1975, est produit par la société soviétique Mosfilm. Pour Akira Kurosawa, « créer une œuvre c’est la plus belle des choses » ce qu’il va faire jusqu’à la fin.
Que la couleur soit et la couleur fut. Avec Dodes‘Kaden,
Kurosawa passe à la couleur après avoir réalisé 23 films en 22 ans et 5 ans après son dernier film Barberousse (1965) dont il disait que c’était son film somme. Alors, le réalisateur était le chef de file du cinéma japonais et jouissait d’une reconnaissance internationale mais son projet suivant, Runaway Train qui devait être tourné en couleur et permettait au réalisateur de s’introduire au film d’action non stop a marqué le début d’une période difficile. A ce projet avorté, a succédé un autre projet Tora ! Tora ! Tora ! (1967) auquel il prit part avec enthousiasme mais dont il a été écarté brusquement par la production qui n’appréciait pas sa manière de travailler. Ainsi ce géant du cinéma a traversé 5 années sans pouvoir finaliser le moindre film. L’on comprend à quel point Dodes’Kaden a pu constituer un enjeux considérable dans sa carrière qui aurait pu être mise entre parenthèse pendant de longues années.
En 1969 cependant, la société Yonki No Kai (les 4 cavaliers) est créé pour soutenir le cinéma japonais et
kurosawa va ainsi pouvoir réaliser Dodes’Kaden en adaptant le roman Quartier sans soleil de Yamamoto Shugoro. Pour l’occasion il retrouve sa vieille équipe de collaborateurs et entreprend un film qui doit être réalisé avec un budget très serré et livré dans les temps alors qu’il utilise pour la première fois la couleur. Le film s’avère pratiquement en avance sur son temps, le public n’adhérent pas à la palette riche et flamboyante. Au final le film est tourné en 28 jours au lieu des 44 prévus par le plan de travail. Dodes’Kaden est un film où Kurosawa recycle ses obsessions sociologiques mettant en scène des personnages de la rue vivant dans un bidonville associé à une exploration psychologique affûtée des caractères qui rend la galerie de portrait de Dodes’Kaden particulièrement captivante à suivre. Roku-chan qui est un authentique toqué de train n’est ni plus ni moins que la figure de l’idiot parfait, obsédé par les trains, tandis que le bidonville abrite une faune haute en couleur de personnages fantasques comme le père et son fils dont le passe-temps consiste à imaginer la maison idéale, les différentes épouses dotées de caractères bien trempés, le vieux qui représente sans doute la sagesse des aînés.
Ce fou de train est un fou de cinéma, Roku-chan c’est
Kurosawa dit la scripte de Kurosawa en parlant de Dodes’Kaden. Il ne fait pas le moindre doute que le train par lequel le spectateur rentre et sort du film avec Roku-chan, le toqué de Train, c’et Kurosawa qui invite dans son univers où la pellicule défile avec le même son entêtant des wagons sur les railles. D’ailleurs, le train de Roku-Chan manque d’écraser un peintre qui s’est installé sur son chemin. Dodes’kaden parle de cinéma, de la palette colorée d’une peintre qui n’est autre que Kurosawa, peintre lui-même comme son héros qui dessine de nombreux dessin de train et qui tel un sculpteur conduit une locomotive invisible, l’objet invisible de la sculpture qu’un Constantin Brancusi ne renierait certainement pas. Akira Kurosawa s’exprime dans les bonus en expliquant qu’il «voulait remettre sur les rails le petit train de ses rêves » ce qu’il fait littéralement dans Dodes’Kaden, film manifeste annonçant la couleur que Kurosawa ne quittera plus et film évoquant la vision d’un créateur s’imprimant dans l’imaginaire de ses personnages. Kurosawa est de ces animaux cinématographiques qui ne devraient mourir qu’en criant « Action » ce qu’il a en quelque sorte pu obtenir. Il semble qu’en dépit de son décès, son oeuvre se prolonge avec des réalisations posthumes et au travers de ces deux enfants Kazuko Kurosawa, sa fille cotumière à la quelle il a mis le pied à l’étrier et Hisao Kurosawa, son fils producteur qui va réaliser Oni un film basé sur une scénario de son père.
Verdict :
Cette édition DVD de Dodes’Kaden est une très bonne occasion de découvrir le film probablement le plus original et étonnant de la filmographie d’akira Kurosawa. Si vous avez vu ses premiers films en noir et blanc et notamment des films comme Les 7 samouraïs, fresque incroyable de 4 heures, découvrir Dodes’Kaden vous fera probablement l’effet d’une révélation de la vision d’un créateur qui livre ici un manifeste de la couleur doublé d’un hymne à la joie de créer.