Première femme directrice de la publication d’un grand journal américain, le Washington Post, Katharine Graham s'associe à son rédacteur en chef Ben Bradlee pour dévoiler un scandale d'État monumental et combler son retard par rapport au New York Times qui mène ses propres investigations. Ces révélations concernent les manœuvres de quatre présidents américains, sur une trentaine d'années, destinées à étouffer des affaires très sensibles… Au péril de leur carrière et de leur liberté, Katharine et Ben vont devoir surmonter tout ce qui les sépare pour révéler au grand jour des secrets longtemps enfouis…
Un film de Steven Spielberg est toujours un évènement en soi, et alors que son « Ready Player One », malgré toutes ses qualités narratives, visuelles et mise en scène, bataille pour préserver la couronne du roi, « Pentagon Papers » vient rappeler, à qui en doutait encore, à quel point le maitre sait se diversifier et prendre à bras le corps des thèmes aussi sensibles que les lanceurs d’alertes. Alors que d’autres réalisateurs soucieux de retrouver leurs mordant d’antan, se lance dans une reconstitution minutieuse des faits sans se soucier réellement des personnages, Spielberg, avec une régularité confondante va toujours chercher l’homme, ou la femme d’ailleurs, derrière l’histoire. Car effectivement tout le monde peut avoir entendu parler de ce scandale qui fit vaciller le gouvernement Nixon, dans lequel des documents faisaient état de l’existence d’un rapport lu par 5 présidents qui alertait déjà sur les risques d’enlisement de la guerre du Vietnam. Au-delà du scandale que tout ces présidents firent fi de ce rapport, c’est surtout l’attitude de Nixon qui se conduisit comme un véritable dictateur pour museler la presse afin qu’elle ne publie pas de page de cette analyse précise de la situation au Viet-Nam, qui le fragilisa, pour arriver au Watergate sa chute finale.
Par contre, il n’est pas certain que le public connaisse l’histoire derrière l’histoire, à savoir celle de cette femme Katharine Graham, héritière d’un journal, d’un empire financier qui va devoir s’opposer aux hommes, aux financiers sans scrupules, tout en imposant ses propres convictions. Une femme au rôle de potiche qui devient subitement la première lanceuse d’alerte de l’histoire de la presse écrite. Un sujet idéal pour Spielberg qui en tire une histoire pleine ‘humanité et en fait une œuvre féministe majeure. Car au-delà de cette guerre entre la finance et la presse c’est avant tout celle du combat d’une femme dans un monde d’homme, qui subit chaque jour la pression de ces machistes enivrés par le gain qui veulent gérer un journal comme on gère une épicerie. Rien que la scène où l’héroïne doit prendre une décision importante, avec tous les hommes autour d’elle positionné comme des prédateurs, vaut le détour à elle toute seule. Elle doit s’affranchir de cette domination qui l’avait cantonné à n’être qu’une richissime organisatrice de soirée. Avec une mise en scène qui utilise les espaces pour mieux accentuer la pression, ou les plans serrés sur les personnages comme miroir d’une lutte psychologique intense, Spielberg fait encore preuve d’une maestria saisissante. Alors que certains se serait limité à retranscrire les faits et à faire une critique de gouvernements dont nous savons tous qu’ils étaient gangrénés jusqu’à la moelle. Ici Spielberg explore la psychologie de chacun des protagonistes, en particulier le couple Katherine Graham et Ben Bradlee. Les deux étant diamétralement opposés dans leurs vies quotidiennes mais tellement complémentaires dans cette ambition de faire changer les choses, de pouvoir bouger les lignes et transformer une société qui atteint déjà ses limites.
Pour cela, bien sûr, Steven Spielberg s’entoure de deux acteurs dont la réputation n’est plus à faire et notamment de cette trempe de comédiens qui vont bien plus loin que la simple composition linéaire : Meryl Streep (Le Diable s’habille en Prada) et Tom Hanks (Il faut sauver le Soldat Ryan). La première explore, avec une précision déconcertante, la psychologie de cette femme, timide, bouleversée par le suicide de son mari. Une femme qui ne comprend pas et n’accepte pas ce monde de mâle qui préfère se cacher pour peu que le profit soit préservé, un monde d’homme où la femme n’a qu’une place décorative. Meryl Streep compose un personnage tout en nuance qui apprend à mesure que le combat progresse, à se libérer de ses chaines. Quant à Tom Hanks, il parvient toujours à composer des personnages faussement identiques, qui se laissent porter par leurs idéaux. Avec une précision d’orfèvre il tient son personnage à bout de bras, en assimile tous les gestes, toutes la morale et toute la finesse pour que le public se laisse emporter par les idées de son personnage.
En conclusion, « Pentagon Papers » est un film d’une telle intelligence qu’il n’y a que Steven Spielberg pour en être le maitre d’œuvre. Le réalisateur réussit sur tous les plans que ce soit la reconstitution historique d’une période noire de l’histoire américaine, ou encore sur une œuvre féministe qui en plein raz de marée « Weinstein » tombe à pic.
Une section Bonus qui ne fait pas dans le reportage historique mais qui a le mérite de survoler plusieurs phases importantes de la création d'une oeuvre cinématographique :
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Ligne éditoriale » : recréer une époque, dans ce making of, l’équipe revient sur le travail de reconstitution, non seulement d’une époque avec son code vestimentaire, mais surtout la salle de rédaction, construite quasiment à l’identique par une équipe technique soucieuse du moindre détail.
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Arrêtez les presses » : le making of du film, avec interview et analyse de l’équipe à commencer par Steven Spielberg, Tom Hanks et Meryl Streep.
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Arts & divertissements » : Un focus sur la musique toujours grandiose de John Williams.