L'histoire :
Cette trilogie n’en est pas une.
Chacun des films peut être vu indépendamment les uns des autres.
Les trois films ne sont pas des suites.
Le seul lien entre ces 3 films (hors leur réalisateur) est le duo d’acteurs récurrents.
Toutefois, leurs personnages sont différents dans chacun des films.
Et pourtant les 3 D.O.A. forment un tout.
DEAD OR ALIVEJojima est un policier qui s'est fixé comme but de mettre fin aux activités du truand Ryuichi. Mais quand il voit que le seul moyen de sauver sa fille, atteinte d'une maladie mortelle, est de réclamer l'aide d'un caïd yakuza afin de payer l'opération, Jojima n'hésite pas et pactise avec l'ennemi…
DEAD OR ALIVE 2Alors qu'il s'apprête à assassiner un chef yakuza, Okamoto se fait devancer par un autre. Il empoche tout de même la somme qui lui était promise et retourne vers son île natale. Là-bas, il tombe sur le mystérieux meurtrier qui n’est autre que son ami d'enfance, Sawada. Pendant un court moment, les deux hommes se replongent dans leur passé. Mais les yakuzas et les triades sont à leur poursuite. Okamoto propose alors à Sawada de reprendre du service et de jouer les tueurs à gages afin de pouvoir offrir des vaccins aux enfants des pays défavorisés.
DEAD OR ALIVE 3Yokohama, 2346. La belle ville portuaire japonaise est devenue un véritable cauchemar urbain. Pour lutter contre la surpopulation, la ville, dirigée par un maire fou, force les citoyens à prendre une drogue qui les rend stériles. La résistance cherche malgré tout à renverser le pouvoir en place. Ils vont être aidés par un répliquant (droïde à image humaine), qui va rapidement se retrouver confronté à un policier déterminé à mettre fin aux agissements des révolutionnaires. Jusqu'à ce qu'il découvre que la vie qu'il menait n'était qu'un énorme mensonge...
Critique subjective :
Le réalisateur japonais Takashi Miike est un metteur en scène prolifique et a tourné plus de 60 films depuis 1991, dont plus de la moitié destinés au seul marché de la vidéo. En réalité lui-même ignore le nombre précis des réalisations qu’il a signé d’autant qu’il ne fait pas de différence entre les longs-métrages, les films vidéo, les courts-métrages ou encore les publicités.
Diplômé de l'Academy of Broadcasting and Film de Yokohama, Takeshi Miike débute sa carrière comme assistant réalisateur entre autre pour Shohei Imamura, qui fut son professeur à Yokohama. En 1991, Takeshi Miike signe le téléfilm Hit and run et réalise le long métrage Les Affranchis de Shinjuku quatre ans plus tard. Un film qui révèle son metteur en scène, qualifié de "grande révélation de l'année" par la très sérieuse Association Japonaise des Producteurs de Films.
Il réalise ensuite un grand nombre de films dont Bird people from China (1998) qui sera édité en DVD zone 2 début 2005,
Audition (1999), Dead or alive (1999), Dead or alive 2 (2000), Ichi the killer (2001), Visitor Q (2001), Dead or alive 3 (2002), Gozu (2003) et Zebraman (2004).
L’œuvre cinématographique de Takashi Miike nous parvient petit à petit par la voie du grand écran et de plus en plus par celui de la diffusion sur DVD.
Takashi Miike produit une œuvre très hétéroclite qui trahit une certaine jubilation dans la création d’images fortes auxquelles la violence, une vision fulgurante de la vie et de la mort ne sont pas étrangères.
Enfant, Takashi Miike avait envie de faire du cinéma mais considérait également qu’il fallait un certain don qu’il ne pensait pas avoir et qui ne lui semblait pas possible d’acquérir par le travail. Dans une interview figurant dans les bonus du DVD audition (zone 2) il confie qu’il a gardé un esprit d’enfance ce qui le conduit à faire un cinéma qui ne cherche pas à s’inscrire dans une grande tradition de la réalisation classique. Dans ce sens
son travail correspond beaucoup à ce que le critique de cinéma Américain Manny Farber a appelé l’art termite. Son cinéma part dans tout les sens et à l’intérieur d’un même film il ne se prive pas d’endormir le spectateur en lui donnant à voir une histoire qui semble classique puis finit par prendre une orientation inattendue quitte pour cela à changer de registre ou de régime de représentation.
Il faut garder ses distances avec le cinéma comme l’affirme Takashi Miike qui conscient du double statut artistique et industriel du cinéma s’amuse du désir qui le pousse à faire du cinéma et construire des images tout en permettant au spectateur de se rendre compte à son tour que ce qu’il regarde en dépit de sa dangerosité ou du plaisir qu’il donne ne reste jamais que du cinéma.
Avec Audition, Takashi Miike nous montre la douleur plus que la peur en jouant sur l’empathie qui surprend le spectateur face à des images où le corps est torturé. Il confie d’ailleurs dans le DVD bonus de Dead Or Alive (partie Electric Yakusa go to hell !) que dans Audition le but n’était pas de filmer un corps mais de filmer sa face cachée ainsi que sa souffrance car le mystère de l’univers pourrait être sous la main et sous la peau.
Bien que l’univers du réalisateur flirte souvent avec la violence il se compose aussi de poésie avec par exemple le film Bird people from China ou le deuxième volet de Dead Or Alive qui est une sorte de voyage vers l’enfance, un film nostalgique.
Avec Ichi The Killer, on découvre un aspect encore plus extrême de la violence dans le cinéma de Takashi Miike. Ichi The killer est une adaptation d’un manga pour adulte particulièrement cruel et déganté. Dans les bonus de D.O.A., Alejandro Jodorowsky fait de son côté remarquer que le Yakusa Kahikara qui a les joues tranchées et retenues par deux anneaux placés à la commissure des lèvres subit un fist fuking buccale quand il reçoit un coup de poing en pleine figure et que le poing lui rentre dans la bouche en faisant sauter les anneaux.
Ce type d’acte de violence entre gens du milieu Yakusa dans les films de Takashi Miike est souvent interprété comme preuve d’une forme latente d’homosexualité. A vrai dire dans cette trilogie ainsi que dans Ichi The killer, des relations fraternelles très fortes remontant à l’enfance ou inscrite dans le cadre de l’engagement entre Yakusas sont placées sous le saut de la loyauté.
Le réalisateur aime utiliser des codes et des figures propices à installer des discours perturbants ou provocateurs comme le pratique par exemple à sa manière David Cronenberg avec des films tels que Crash, faux semblant ou le festin nu. La trilogie D.O.A. introduit cependant une particularité qui veut que les deux héros principaux interprétés par le duo d’acteurs Sho Aikawa et Riki Takeuchi poursuivent la quête d’un rêve pour eux deux. Les deux personnages sont intimement liés tout au long de la trilogie jusqu’à être réunifié dans la fin extrême de D.O.A. 3.
Takashi Miike affirme cependant que son propos vise à parler de la fascination d’un homme pour un autre comme elle peut s’exercer entre deux Yakusas qui sont prêts à souffrir l’un pour l’autre. Il faut signaler que pour Takashi Miike les Yakusas font parti de son enfance et même de sa vie actuelle car petit il côtoyait des enfants de Yakusas et les demandes d’autorisation de tournage dans Osaka sont à adresser aux Yakusas et pas aux flics… Le plus surprenant c’est d’entendre le réalisateur Thaïlandais Pen-Ek Ratanaruang confier que les Yakusas rencontrés à Osaka respectent vraiment Takashi Miike qui confie en retour suivre ce dicton Japonais qui dit que l’on peut apprendre de tous les gens qui nous entourent.
Le premier volet de la trilogie Dead Or Alive démarre sur les chapeaux de roue et on assiste à une déferlante de situations assez surprenantes dans le plus pur style guérilla (terme employé par Takeshi Kitano à propos de la trilogie) caractéristique à Takashi Miike. D.O.A. se présente comme un polar décalé bourré d’action au montage dynamique qui propose une immersion dans le monde des yakusas à grand renfort de guitares électriques, de rail de coke de plusieurs mètres qu’on sniffe d’un trait et de scènes aux pratiques sexuelles extrêmes ou débridées. On a ainsi droit notamment à une scène où une jeune femme est noyée dans ses excréments flottants dans un bac d’eau et une scène de zoophilie qui rend D.O.A. difficiellement montrable aux publics les plus jeunes. Le film met en scène une équipe de Yakusas qui cherchent à s’enrichir à la faveur d’un cambriolage mais leurs projets vont être contrecarrés par un flic obstiné. Ce premier volet bénéfice d’une mise en scène particulièrement inventive et d’une énergie créatrice style guérilla.
Dans le projet original, Takashi Miike n’envisageait de réaliser que 2 volets, le troisième volet ayant été imposé par la pression extérieure des fans et de la production. Le premier volet est donc le plus réussit tandis que le deuxième maintient un certain niveau. Le troisième volet présente toujours un niveau d’invention intéressant mais laisse voir une certaine lassitude ou la volonté de Takashi Miike de mettre un terme définitif à cette série de films. D.O.A. 3 est un enfant non désiré que le réalisateur semble décider à terminer sans ménagement.
Takashi Miike ménage pour D.O.A. et pour les 2 autres volets une chute inattendue qui si elle est très surprenante pour le premier volet est carrément hallucinante pour le troisième volet. En somme on passe d’un polar à un film de Yakusas nostalgiques d’une enfance aussi douce que leur vie d’adulte est dure pour finir avec un film de science-fiction à mi-chemin entre
Matrix et Blade Runner. Selon les propres termes de Takashi Miike D.O.A. 3 est un dessin animé en image réelle, un film extrême et définitif.
En trois volets Dead Or Alive s’affirme comme une sorte de carnet de tendances du cinéma de Takashi Miike et bien que les trois films soient de qualité inégale et qu’ils ne soient pas parfaits, cette trilogie constitue un bel objet qui fourmille d’inventivité et d’énergie. De très nombreux thèmes peuvent être répertoriés dans ces trois films dont la violence, la sexualité et ses perversions, la figure du Yakusa, celle de la femme qui reste pour Takashi Miike une énigme et dont il considère que leur capacité à donner la vie constitue un pouvoir extraordinaire.
Cette trilogie et son mélange de style guérilla, de nostalgie tendant vers le poétique mais vite modéré par des ruptures de rythme amenées brutalement rappelle que Taksahi Miike a aussi ses propres influences dont le cinéma de Quentin Tarantino et surtout celui de David Lynch dont il est fan en particulier à cause du film Mulholland Drive. Takashi Miike déclare qu’il a reçu ce film comme si
David Lynch lui adressait un message qui consisterait à accepter de changer de point de vue et se résumerait à cette phrase : « oublies tout ce à quoi tu as toujours cru ». Ceci explique sans doute pourquoi Takashi Miike est un créateur à suivre car il va encore évoluer. La création se caractérise notamment par la recherche d’invention et les ruptures de rythmes amenant à provoquer une rupture avec ce qui s’est fait avant. Takashi Miike a du plaisir à créer même si il ne cherche pas à faire une œuvre au sens classique du terme.
D’ailleurs son œuvre semble sinon directement influencer, rentrer en résonance avec d’autres cinéastes. Le récent
Old Boy montre une scène où le héros se coupe la langue comme le Yakusa Kahikara de Ichi The Killer et la polymorphie de son cinéma contribue en dépit des difficultés de diffusion à le rendre intéressant pour un public très diverse ; jusqu’à la manière dont il utilise la musique comme une arme fatale qui se marrie à l’image et qui fait de ce cinéma un modèle à étudier pour tout cinéaste.
Verdict :
De manière plus générale, Dead Or Alive c’est l’histoire d’une destruction désespérée. Deux hommes dont les corps sont dispersés dans le Japon ne cessent de se retrouver à travers les époques. Si vous découvrez le Cinéma de Takashi Miike, mieux vaut aborder la trilogie D.O.A. avec un esprit d’ouverture maximum et ne pas s’arrêter à cette seule trilogie. Je vous recommande de visionner d’autres films du réalisateur pour se faire une meilleure opinion de son travail. Comme je l’ai dit plus haut, ces trois films forment un bel objet qui n’est pas parfait mais n’en reste pas moins fascinant. C’est donc un coffret qui peut vous intéresser si vous êtes curieux et ouvert aux démarches artistiques qui n’ont pas peur de s’aventurer hors des sentiers battus.