Le Mouchard

Dublin, 1922. Les Irlandais sont sous le joug des Anglais et subissent la misère dans laquelle on ne cesse de les acculer. Dans ce climat d'oppression, Gypo Nolan (Victor Mc Laglen), à la dérive depuis son exclusion du groupe de résistance mené par le commandant Dan Gallagher (Preston S. Foster), rêve de s'embarquer pour l'Amérique avec celle qu'il aime, Katie Madden (Margot Grahame), qui, pour l'heure, se prostitue pour survivre. Sans le sou, il erre à la nuit tombée et découvre, placardée sur un mur, l'affiche de la mise à prix de son meilleur ami et co-équipier, Frankie McPhilip (Wallace Ford) recherché par les Anglais, pour meurtre. 20 livres de récompense sont proposées, juste assez pour que le couple quitte la ville. L'hésitation, la colère, la volonté de chasser l'horrible pensée le traversent mais la réalité s'accroche à lui, telle cette affiche froissée, jetée au sol et poussée par le vent qui se colle à ses jambes. Finalement, l'appât du gain aura raison de ses sentiments et, en Judas, rongé par la peur et les remords, dominé par sa faiblesse pour l'alcool et sa bestialité, il tente d'échapper à ce mal-être et aux membres de l'organisation de défense, le Sinn Fein.

Sean Aloysius O'Fearna, dit Jack Ford puis John Ford, est issu d'une famille nombreuse irlandaise. Après un échec au concours d'entrée à l'Académie Navale, il rejoint son frère acteur à Hollywood et pénètre les milieux du cinéma. Il s'exerce à différents postes avant de se révéler un réalisateur de talent. Surtout connu de nous, dès 1917, pour ses westerns comme "The Tornado" ou "Straight Shooting" (Le Ranch Diavolo) puis, "Stagecoach" (La Chevauchée fantastique, 1939), "Fort Apache" (1948) ou encore "The Searchers" (La Prisonnière du désert, 1956), John Ford s'en écarte de temps à autre pour affirmer son talent dans d'autres genres. Parmi les titres les plus connus, on peut citer "The Informer" (Le Mouchard, 1935), "Mary of Scotland" (Mary Stuart, 1936), "Young Mr.Lincoln" (Vers sa destinée, 1939), "The grapes of Wrath" (Les Raisins de la colère, 1940) "The battle of Midway" (La Bataille de Midway, 1942) ou encore "Donovan's reef" (La Taverne de l'Irlandais, 1963) qui en sont les plus belles illustrations. En héritier et en hommage au cinéma muet, sous l'influence du cinéma expressionniste allemand et en "pionnier" du cinéma parlant, John Ford offre dans "Le Mouchard", un cocktail exemplaire de leur puissance qui lui vaudra l' Oscar du meilleur réalisateur. Un film donc où le dialogue n'occupe que très peu de place mais qui est tourné de manière vive, enlevée. C'est ainsi que le spectateur se trouve plongé, dès le générique, dans un jeu d'ombres et de lumières, enveloppé par un brouillard qui crée un climat d'angoisse, accroché par des symboles, des incrustations, des plans serrés sur le visage tourmenté de Gypo aux prises avec un dilemme tragique. Dès l'ouverture aussi, c'est la présence de la musique de Max Steiner qui participe à notre installation au sein d'un ballet énigmatique au registre tragique de silhouettes en contre-jour. Par la présence de la stature imposante d'un homme qui traverse des rues où l'on croise des soldats en armes et des femmes voilées d'un crêpe qui forment la haie de la honte en le désignant du doigt, le réalisateur soulève d'emblée les premières questions et laisse augurer une issue tragique. Même si le jeu des acteurs apparaît parfois forcé, quelque peu emphatique, il  reste à l'image de l'interprétation de celui d'une époque et doit être apprécié comme tel.

Ce fervent défenseur de la cause irlandaise a rendu un grand hommage à ses racines dans ce film sombre qui peint un tableau réaliste des bas-fonds de Dublin et du combat de l'IRA contre les Anglais en 1922. En outre, avec le thème de la trahison se rajoute à la volonté de Ford l'intention de brosser un fidèle paysage des problèmes sociaux de l'époque. Tout le film est à observer minutieusement tant il recèle de clés, d'éléments que non seulement les cinéphiles et littéraires avertis apprécieront à leur juste valeur mais cette oeuvre peut aussi simplement permettre de découvrir du grand John Ford.

L'image est surprenante pour l'âge du film. La luminosité varie selon les passages mais conserve toujours l'équilibre nécessaire à la bonne lecture. En revanche, le grain s'invite au spectacle relativement souvent, tout comme les défauts de pellicule. 

Deux formats sont disponibles :
- Le Dolby Digital mono : assez décevant en terme de précision, de dynamique et, bien sûr, de placement. Dès que l'on augmente le volume, le résultat devient alors brouillon avec une saturation vite rédhibitoire.
- Le Dolby Digital 5.1 : prend nettement l'avantage sur le mono mais conserve les défauts liés à la saturation du signal.
Le traitement audio est donc quelque peu décevant.

Pour accéder au menu, une animation présente les trois affiches du film : l'américaine, l'allemande, la française. Voilà un bon avant-goût de l'époque et de la thématique majeure qui nous permet d'ouvrir de façon agréable ce DVD.

Le menu se présente sous la forme des portraits fixes des deux personnages principaux sur le fond musical principal du film.

- "Le Mouchard" propose, outre l'accès au film, la rubrique "chapitres" avec de belles images fixes de scènes et "versions" avec le choix entre la mono d'origine (VO-VOST) et un remastering 5.1 (VO-VOST).

- Autour du film, une mine d'informations intéressantes et enrichissantes. Voici donc ce qui nous est offert:

* Un entretien avec John Ford en VO sous-titrée Français (DD 2.0) par son petit-fils, Dan Ford, en 1973. La confession est d'une durée de 24 minutes avec, pour fond, le film se déroulant. Une bonne autobiographie succincte qui permet d'en apprendre davantage sur l'homme, le réalisateur et ce film.

* Le Mouchard par Samuel Fuller, une intervention dans les années 80 à l'Université de Santa Barbara, rapportée en VO sous-titrée Français (DD 2.0). Une approche pertinente de 26 minutes 47 qui laisse voir les idées et les désirs du réalisateur. Un supplément proposé sur des images du film en une sorte de diaporama.

* Une analyse du film par Tag Gallagher, auteur d'ouvrages et collaborateur aux Cahiers du Cinéma. Durant 15 minutes 27, toujours sur des images de l'oeuvre, il propose un commentaire intéressant de la réalisation technique.
* Dans la même collection: : deux séries affichant les jaquettes de six coffrets, déjà sortis ou à venir, sur lesquelles on peut cliquer pour obtenir un extrait, dont : "Nous avons gagné ce soir" de Robert Wise (1:32), "La dame du vendredi" d' Howard Hawks (1:49), "L'impossible Monsieur Bébé" d' Howard Hawks (2:17), "Soupçons" d'Alfred Hitchcock (1:57), "La captive aux yeux clairs" d'Howard Hawks (2:58) et "La splendeur des Amberson" d'Orson Welles (1:54). Un bon panel qui donne envie de voir ou revoir ces anciennes productions.

Je mentionne juste que la parution du coffret DVD "La dame du vendredi" d'Howard Hawks est suspendue et ne sortira plus chez cet éditeur pour des raisons relatives aux droits de la pièce de théâtre "The Front Page" (1929).
De plus, pour approfondir davantage, deux adresses de sites internets vers Les éditions Montparnasse et Les cahiers du cinéma sont proposées.
* Crédits.